Pour une littérature de l’olivier. Costanza Ferrini

 Pour une littérature de l’olivier

 Costanza Ferrini

Ce texte est extrait des chroniques de La bibliothèque de midi.

Costanza Ferrini est de nationalité italienne, elle est universitaire. Elle a dirigé une collection de littérature méditerranéenne aux éditions Mesogea (Messine), avant de cultiver ses propres oliviers dans sa ferme biologique.

Ce texte est dédié à mon maître à écouter les oliviers : Francesco Biamonti.

PLAN DE L'ARTICLE

    * Le sens du lieu
    * Le dialogue tacite des oliviers
    * L’entretien avec la mer
    * Les femmes, l’olivier et la mer
    * Le temps des olives
    * La résistance des oliviers



 
Dans une société qui ne connaît plus la patience, je voudrais aborder la littérature de la Méditerranée avec un regard particulier, en choisissant comme guide, pour traverser cette mer d’une rive à l’autre, l’olivier.

Le sens du lieu

L’olivier et la littérature méditerranéenne ont des caractères identiques. Les espèces d’oliviers qui poussent en Méditerranée se comptent par milliers : c’est un arbre qui est présent sur toutes les côtes, et dans tous les premiers arrière-pays. Mais il a en même temps un besoin essentiel : la spécificité d’un lieu. Il y a autant d’espèces d’oliviers que de points de vue sur la Méditerranée. De la même façon, la littérature de cette mer est toujours extrêmement localisée, et ce sont ces racines qui lui permettent son développement, son caractère transversal. Et puis, les oliviers, apparus en Arménie il y a une dizaine de milliers d’années, se sont répandus depuis dans toutes les terres du bassin, jusqu’au Portugal et au Maroc. La littérature méditerranéenne n’a pas fait autrement : à partir d’une origine géographique quasi identique, elle a pu accueillir tous les imaginaires, aussi nombreux que les espèces d’oliviers.

Cette image de transversalité est très forte, et pour l’illustrer, je voudrais commencer par un extrait de la sourate XXIV du Coran, dite De la Lumière. Dieu est la lumière des cieux et de la terre. Semblance de Sa lumière : une niche où brûle une lampe, la lampe dans un cristal ; le cristal, on dirait une étoile de perle : elle tire son aliment d’un arbre de bénédiction, un olivier qui ne soit ni de l’Est ni de l’Ouest, dont l’huile éclaire presque sans que la touche le feu. Lumière sur lumière !

Tout olivier donne sa lumière, qu’il soit d’Orient ou d’Occident. C’est de la variété de sa diffusion géographique, toujours conjuguée à un “ici” précis, que jaillissent sa puissance et celle de sa littérature.

L’olivier crée, par sa présence, un lieu. Il devient abri. Dans un passage de l’Odyssée, Ulysse décrit à sa femme leur lit de noces, construit sur un rejeton d’olivier puissant comme une colonne. Pour cette description technique d’une chambre et d’un lit bâtis autour d’un arbre, Homère utilise certains adjectifs qui signifient “riche en feuilles”, “avec un grand pied”… Cette idée d’un lieu créé par l’olivier, ici directement lisible, donne également une clé pour comprendre d’autres passages de l’Odyssée. Ainsi, quand Ulysse fait naufrage dans l’île des Phéaciens, à bout de forces, perdu, il cherche un abri où reprendre ses sens : Il s’en alla vers la forêt [et] se glissa sous une double cépée issue d’un même tronc, un olivier sauvage et un olivier cultivé. Ni la force humide des vents qui soufflent n’y pénétrait, ni jamais le soleil brillant ne les transperçait de ses rayons, ni la pluie ne les traversait. […] C’est sous leur abri qu’Ulysse se cacha […] et il se fit une couverture de feuilles. L’union des deux oliviers lui construit un “chez lui” dans cet ailleurs inconnu. Quand, à son réveil, les suivantes de Nausicaa veulent le laver et l’habiller, elles posent à côté de lui un manteau, une tunique et une fiole d’or emplie d’huile fluide. Alors l’illustre Ulysse leur dit : “Suivantes, tenez-vous à distance, que je sois seul pour me baigner, ôter de mes épaules l’eau de mer et me frotter d’huile d’olive, car il y a longtemps que mon corps n’en a pas reçu.”

Ces oliviers de l’île phéacienne sont d’une espèce sûrement différente de ceux d’Ithaque, mais c’est à travers le soin de son propre corps qu’Ulysse retrouve son identité, son paysage. Et ce n’est pas un hasard si c’est ici aussi qu’il retrouve sa propre histoire. L’olivier est en même temps paysage de l’âme et de la peau, deux entités pour les Méditerranéens qui sont souvent superposables.

Nous retrouvons trace de l’île des Phéaciens dans l’ouverture de Manosque-des-Plateaux de Jean Giono : Quand j’étais tout petit, je jouais, puis j’avais faim. Ma mère taillait alors une plate tartine de pain, elle la saupoudrait de sel, elle l’arrosait d’huile, par un large 8 de la burette penchée, elle me disait “Mange.” Ce sel, il me suffisait de humer le vent odysséen : il était là avec l’odeur de la mer ; ce pain, cette huile, les voilà tout autour dans ces champs de blé vert dessous les oliviers.

C’est avec le nez que Giono établit une connexion avec le vent, c’est avec la bouche qu’il goûte sa terre, la fait devenir sa propre peau, jusqu’à la transformer en nourriture. Tu m’as nourri de ces collines, écrit-il en s’adressant à sa mère.


L’olivier acquiert pour ainsi dire une parentèle intime, comme l’exprime également le poème de Mehmet Yashin, L’Olivier amer.


On ne m’avait pas dit
que l’olivier était mon grand-père
ses bras ridés couverts de rugueuse peau,
un visage lumineux un fixer obscur.
Il me reconnaît même de loin
 Il secoue ses branches et frémissent ses feuilles
 On dit que grand-père l’avait planté avant sa mort.
Autant vigoureux dans le tronc, autant délicieux le parfum
ses petites feuilles jamais sans un grand sourire…
On ne m’avait pas dit que c’était mon grand-père
 ses feuilles argentées brûlaient pour moi comme de l’encens

L’une des traditions de Chypre est de brûler des feuilles d’oliviers, soit dans une nouvelle maison, soit à la naissance d’un nouveau-né, pour, dit-on, “chasser les yeux du diable”.


L’olivier, espace et abri, s’ouvre ici sur une présence. Celle-ci nous arrive d’un temps passé, des siècles parfois, mais ce temps est celui d’un “ancien-présent”. Il pensait aux oliviers d’autrefois, à leur air sacré, toujours neuf, écrit aussi Francesco Biamonti dans son roman Vent largue.

Dans le film de Liana Badr, Zeytouna (L’Olivier), qui se déroule en Palestine, les femmes défendent leurs arbres contre les déracinements effectués par les Israéliens, parce que l’olivier est l’une des ressources économiques et des conditions de survie du peuple palestinien, mais aussi parce que là où il y a un olivier, il y a un lieu. Déraciner un arbre signifie annuler un lieu, qui redevient ainsi espace sans mémoire, sans histoire, sans repère.

Le dialogue tacite des oliviers

L’olivier respire en un mouvement diastolique du temps. Autour de la Méditerranée, le poids du passé peut être plus lourd qu’ailleurs, s’il y a absence de dialogue avec le temps. Giuseppe Bonaviri, écrivain sicilien, dans l’un de ses plus célèbres romans, Le Murmure des oliviers, montre la capacité qu’ont ces arbres à dialoguer. Un dialogue avec l’homme qui n’est tacite qu’en apparence. Car l’olivier nie, par sa présence, la solitude. Dans la campagne, aussi loin que pouvait porter le regard, on ne voyait personne, à part les oliviers avec leurs frondaisons dont les branches ployaient sous la pluie qui tombait. Pour Bonaviri, les oliviers sont en harmonie avec le paysage. Ils sont sources de lumière (Et ce soir-là, la lune semblait avoir du mal à se lever. […] Seule une légère clarté émanait des oliviers) ou de chaleur, mais aussi parfois sources d’émotions ou d’attitudes humaines (Lorsque la campagne est déserte, même les oliviers paraissent abattus sous le vent chaud), et ils peuvent même aller jusqu’à reproduire la parole (Personne n’ayant répondu, sauf l’écho renvoyé par les oliviers).

Francesco Biamonti, lui aussi, réussit à saisir un tel écho au sein d’un matin lumineux. Il pensait aux oliviers, à leurs branches presque minérales, à leurs troncs presque humains. Ils avaient un feu intérieur et semblaient parler dans la lumière du matin.

René Fregni, lors d’un entretien que nous avons eu ensemble il y a quelques années, avait conclu par ces mots : Il y a autant de choses à voir dans un olivier que dans tout le reste du monde. Il faut simplement prendre le temps de regarder comme il s’est donné le temps de nous aider à vivre. Après une longue fréquentation avec de tels arbres, la leçon à retenir est bien celle de la patience, celle du temps de la croissance.

Le célèbre commissaire Montalbano d’Andrea Camilleri cherche la solution des crimes auxquels il est confronté sous un olivier. Sa méthode est très simple : il abandonne sa pensée, qui, sous l’arbre, semble retrouver son issue.


Observé d’en dessous, l’olivier paraissait plus grand et plus emmêlé. Il vit la complexité de la frondaison qu’il n’avait pu distinguer quand il était installé à l’intérieur. Quelques mots lui vinrent à l’esprit. “Il y a un olivier sarrasin, grand… avec lequel j’ai tout résolu. Qui les avait prononcés ? […] Ces mots, c’était Pirandello qui les avait dits à son fils, quelques heures avant de mourir. Et ils se référaient aux Géants de la montagne, l’œuvre inachevée.

Le personnage de Vent largue de Francesco Biamonti exprime le désir de reposer au pied de cet arbre. Au bord de la route […] Céleste bruissait. Elle était toujours la première à bruire. Cela peut-être lui avait valu son nom. “C’est sur sa souche que je voudrais qu’on disperse mes cendres, face au village perdu… Quel orgueil !”

L’entretien avec la mer

Des pointes de mer argentées pénétraient dans le ciel comme répondant à l’appel des oliviers : c’est ainsi que s’exprime, encore, Biamonti, grand écouteur de ces secrètes correspondances de lumière entre rochers, oliviers et mer, dans sa terre ligure du Ponant.

L’écrivain calabrais Giuseppe Gironda, de son côté, entend un autre type d’entretien entre l’olivier et la mer : Si seulement il y avait un tout petit peu de vent ! Quand il court entre les branches des oliviers, il fait un bruit semblable à celui de la mer, des vagues !

Pavese, lui, s’adressait à sa Terra rossa terra nera (Terre rouge terre noire) par ces mots : Les olives de ton regard / adoucissent la mer. Et c’est exactement pour cela que le protagoniste du roman Attente sur la mer va visiter ses oliviers avant de repartir sur la mer. Il aurait voulu avoir avec eux un entretien, se faire face à eux homme de prière. Il les avait si souvent emportés sur la mer, comme un opium, un rêve.

Et pour revenir au commissaire Montalbano, notons que, s’il va résoudre ces énigmes sous l’olivier sarrasin, la mer lui est un lieu équivalent : Montalbano, quand il n’avait pas envie d’air de la mer, remplaçait la promenade le long du môle de l’est par une visite à l’arbre des olives.


Les femmes, l’olivier et la mer

Il y avait une fois, dans une ville grecque, le soudain jaillir d’une source et le soudain pousser d’un olivier. Ainsi commence la légende racontée par saint Augustin dans La Cité de Dieu. L’oracle delphique fut interrogé et les habitants apprirent que l’olivier symbolisait la déesse Athéna et l’eau Poséidon. Ils eurent à décider si la ville devait prendre le nom de l’une ou de l’autre. Le roi consulta le peuple. Les hommes indiquèrent le dieu de la mer, les femmes la déesse de l’olivier. Par une seule voix, les femmes gagnèrent. Poséidon, furieux, inonda la ville et, pour le calmer, les nouveaux Athéniens infligèrent aux femmes trois punitions : elles n’eurent désormais plus le droit de vote, ni celui de donner leur nom à leurs fils, ni celui de s’appeler Athéniennes. L’histoire est racontée par les hommes, et si le roi avait été une reine, il est probable qu’aujourd’hui Athènes s’appellerait Athènes Poséidonia, incarnant ainsi la double et inséparable âme grecque et méditerranéenne. Ce mythe fondateur est resté dans les gestes ou les rites des gens de mer et d’oliviers. Pour la femme, ces rites deviennent mémoire viscérale, une mémoire qui unit deux parties de son être au monde, deux temps indissolubles du grand cycle.

Francesco Biamonti, dans Vent largue, raconte la vie d’un homme qui partageait sur une île la nostalgie d’une femme aimée avec les oliviers. La lumière épurait les oliviers et les rochers presque bleus. Il se rappela que, faute de mer, Sabèl les regardait.

Sabèl, à son tour, interpose un silence entre elle et la mer. Elle est sur une île, donc en présence de son élément vital, mais de cette fréquentation exclusive et paisible jaillit la nostalgie des falaises, alors que les oliviers comblent chez elle, d’habitude, le vide de la mer… La nostalgie atteint également les arbres : les deux éléments sont strictement joints l’un l’autre.

J’ai également le souvenir vécu d’une tradition païenne. Il y a un rocher en Tunisie, dans un village du bord de mer appelé Lella al-Bahrîya (La Dame des marins), où les femmes se rendent au crépuscule pour allumer des bougies. L’invocation qui accompagne ce geste signifie à peu près : Toi qui habites la maison de (ici, le nom de la famille du pêcheur), ouvre les portes de la mer, que le poisson rentre dans le filet. Et, l’une après l’autre, toutes les maisons des familles de pêcheurs du village sont nommées. Mais jadis, car ce rite est très ancien, on lançait : Toi qui habites l’olivier de… suivi de l’énumération du nom des arbres. Par l’olivier, on évoquait l’abondance de la mer.

Amina Saïd convoque cette mémoire entrelacée entre la mer et l’olivier dans son chant La Douleur des seuils.



Je suis née d’un silence
 entre la mer et l’olivier
Le mystère d’une étoile errante
me protège de moi-même
Je suis née d’un silence

 entre la mer et l’olivier
Du rythme des vagues

 et de l’enfance de la lumière

Tandis que c’est sur son propre corps que la poétesse dalmatienne Vesna Parun découvre la mémoire viscérale de cette double appartenance.

Puis je regarde mes mains luisantes
et mes cuisses dorées de l’écume marine
d’où jaillit l’huile des oliveraies.
Le temps des olives

Levées avant l’aube, vêtues de leurs plus beaux atours et fardées, les pieds chaussés de cette sorte de babouches hautes et souples de couleur écarlate ornementées de dessins noirs, parées de tous leurs bijoux, les femmes se rendaient aux champs. Toutes les femmes aiment le temps des olives, car c’est celui où elles peuvent sortir. Elles rentraient aux étoiles éreintées mais heureuses.

La femme berbère Fadhma Amrouche raconte la version féminine de la cueillette dans sa région. Nous sommes en Algérie dans les années trente. Les femmes sont obligées de faire la cueillette, mais elles sont habillées comme à la fête. Elles sont entre elles. En Palestine aussi, dans le film de Liana Badr, Zeytouna, la cueillette est menée par les femmes. Elles se taquinent, rient entre elles et jouissent de la récolte en se racontant des histoires…



Ce temps des olives, je ne connais rien de plus épique.

De la branche d’acier gris jusqu’à la jarre d’argile, l’olive coule entre cent mains, dévale avec des bonds de torrents, entasse sa lourde eau noire dans les greniers, et les vieilles poutres gémissent sous son poids dans la nuit. Sur le bord de ce grand fleuve de fruits qui ruissellent dans le village tout notre monde assemblé chante. C’est Jean Giono, dans son Poème de l’olive, qui raconte ainsi la fête de l’abondance en Provence, dans ces mêmes années trente. Une fête qui, malgré de menues différences, se répète à l’identique dans toute la Méditerranée. On y jouit collectivement du résultat d’un an de travail. Et comme pour chaque tradition liée à l’abondance de la terre ou de la mer, on trouve aussi des rites propitiatoires, venus de la nuit des temps. Dans le centre de l’Italie, par exemple, on sacrifie une grande branche d’olivier avec des olives pour la fête de la fin de la cueillette. Autour de cette branche, placée au milieu de la place du village, tout le monde danse, et on “sacrifie” aussi de l’huile nouvelle pour frire des beignets de riz.

Il y a un rapport singulier de l’homme ou de la femme à l’olivier, mais il y a aussi le moment du partage : celui de la joie liée à l’abondance, ou si parfois l’année est averse, celui de l’amertume du temps qui “enlève”. Comme l’écrit le poète originaire de Lucanie Leonardo Sinisgalli,

L’olive a le goût de l’oubli
la saveur des larmes.

La résistance des oliviers

En conclusion de ce bref tour d’horizon, dédions quelques mots aux oliviers comme lieu de résistance. Cet arbre qui pousse en Méditerranée suit de près son histoire, ses fractures et ses blessures. Pour les femmes palestiniennes, les oliviers sont le lieu de la résistance, parce que c’est à partir d’eux que leur histoire, leur genius loci, leur mémoire, se dégagent. L’olivier n’est pas simplement le symbole de la paix : il représente également pour le monde de la terre l’équivalent de ce qu’est Phénix pour les airs. C’est une plante presque immortelle, qui peut resurgir de ses cendres et faire repousser sans cesse de sa souche millénaire de nouveaux rejetons…

Cette résistance permet à Moncef Ghachem de renverser l’image reçue de l’olivier comme lieu de paix, lorsqu’il dénonce le climat de censure dans son pays : La prison n’est plus dans la forteresse / Mais en plein air parmi les oliviers.

J’aimerais, pour terminer, citer intégralement un récit de tradition orale, situé en Toscane pendant le ventennio fasciste (1925-1945), et que j’ai recueilli du poète Giacomo Trinci, qui l’a lui-même entendu maintes fois, par la bouche de son père Ari  Récit oral du 28 novembre 2002, par Giacomo Trinci et Francesco...


Mon père racontait que durant la période du fascisme son père Sem était considéré comme antifasciste, dans un petit village de Toscane où les antifascites frappaient les fascistes. Au village, chacun savait de quel côté étaient les uns et les autres. Grand-père Sem avait toujours refusé de prendre la carte du parti, et comme il connaissait tous ceux qui étaient passés dans le camp fasciste, il les attendait de pied ferme.
Un matin, Gigi D.F. arriva, avec trois ou quatre hommes de main, pour lui demander de prendre la carte.
– Allez, Sem, si tu veux que tes fils aient une vie plus facile… Fais un effort.
Mon pauvre père ne leur laissa pas le temps de terminer ; il posa sa pioche, et sans même se tourner, il allongea une main, prit le fusil qu’il gardait toujours suspendu à l’olivier, et dit :
– Tu as toujours été une ordure ; attention, si tu ne fais pas demi-tour, je vous tire dessus, toi, ceux qui t’accompagnent, toute ta famille et même ton chien (et ton chat aussi, si tu en as un).
On ne les a jamais revus.

Dans ces mille versions, ce récit conserve toujours des caractères fixes ; c’est ainsi que se révèle la naissance d’un mythe. Dans chaque variante, dès qu’apparaissent les fascistes, il y a un olivier, avec un fusil caché derrière, ou à côté. Le noyau stable représente le message qu’il faut faire passer dans tous les cas : on peut s’opposer au fascio, à l’arrogance d’un pouvoir imposé ou à une vision unique du monde, et chacun peut le faire à sa manière. C’est cette façon personnelle de marquer son opposition qui est soulignée dans le mythe. Certes, l’olivier représente l’élément de la campagne toscane le plus répandu, mais c’est aussi le sens du lieu. Le sien. A la carte du fascio, il opposera toujours l’olivier.

Merci à Giulio Scatolini et Fabio Petrillo pour leurs suggestions. Sauf précisions, les traductions des extraits sont de Marguerite Pozzoli.

Bibliographie


Le Coran, essai de traduction, Jacques Berque, Albin Michel, 1995.

Francesco Biamonti, Vent largue, Verdier, 1993.

Francesco Biamonti, Attente sur la mer, Seuil, 1996.

Giuseppe Bonaviri, Le Murmure des oliviers, Verdier, 1990.

Andrea Camilleri, L’Excursion à Tindari, Fleuve Noir, 2002. Traduction de Serge Quadruppani, avec l’aide de Maruzza Loria.

Costanza Ferrini, Venature mediterranee. Dialogo con scrittori di oggi, Mesogea, Messina, 1999.

Moncef Ghachem, “Quator in M, Madia”, in Orphie, MEET, 1997.

Jean Giono, Manosque-des-Plateaux, suivi du Poème de l’olive, Gallimard, coll. “Folio”, 1998.

Giuseppe Gironda La miniatura in Narratori calabresi, a cura di D. Mafia, Abramo, Catanzaro, 1994.

Fadhma Aït-Mansour Amrouche, Histoire de ma vie, La Découverte, 2000.

Vesna Parun, Il ragazzo addormentato in Lingue di mare, lingue di terra 1, C. Ferrini dir., Mesogea, Messina, 1999.

Amina Saïd, La Douleur des seuils, La Différence, 2002.

Saint Augustin, La Cité de Dieu (De Civitate Dei), in Œuvres, Gallimard, coll. “Bibliothèque de la Pléiade”, 2000.

Mehmet Yashin, Don’t go back to Kyrenia, Poems 1977-1997, Middlesex University Press.
Notes

L’une des traditions de Chypre est de brûler des feuilles d’oliviers, soit dans une nouvelle maison, soit à la naissance d’un nouveau-né, pour, dit-on, “chasser les yeux du diable”.

Récit oral du 28 novembre 2002, par Giacomo Trinci et Francesco Fagnani, dans l’oliveraie centenaire de Perugia.Retour



POUR CITER CET ARTICLE : « Pour une littérature de l'olivier », La pensée de midi 2/2003 (N° 10), p. 136-140.

Parmi les publications de Costanza Ferrini: Venature mediterranee. Dialogo con scrittori di oggi, 1999 (recueil de dialogues avec Kadaré, Maalouf, Matvejevic, Barakat, Laâbi, De Luca...) et Lingue di mare lingue di terra, 1999 et 2000 (anthologie des écrivains des vingt-cinq langues du bassin).


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